On la trouvait sévère, revêche, colérique. Elle était surtout théâtrale, dramatique, tragédienne. L'école avait déniché je ne sais où cette passionnée des planches dans la ferme intention de relever le niveau des pièces de théâtre des Fancy Fair annuelles. Elle a fait de moi une "femme savante", une "précieuse ridicule" puis une marquise à perruque blonde au temps de la Révolution française, pauvre de moi. Contrairement à la majorité des étudiantes, j'ai vite revu mon jugement hâtif sur ce petit bout de femme extravagant. J'aimais ses emportements exubérants, sa diction idyllique, sa main élégamment levée.
A 18 ans, j'ai quitté l'école et je ne l'ai revue qu'à de très rares occasions. A 40 ans, j'ai emménagé dans l'immeuble que j'habite aujourd'hui et .... je l'ai retrouvée dans l'escalier. Elle se souvenait parfaitement de moi et nous a accueilli le plus joliment du monde. Elle nous a vanté les agréments de la vie en plein centre ville: "Vous verrez, c'est formidable de vivre dans le boum !". A près de 75 ans, je lui enviais son dynamisme et me sentais contaminée par son enthousiasme.
Pendant les dix années où sa voix de cristal et son caractère enjoué ont éclairé le hall d'entrée, nous lui avons décerné le Molière de la top voisine. La seule qui se fendait d'une lettre dithyrambique pour nous remercier des petits biscuits offerts chaque Noël, la seule qui s'extasiait exagérément et ne tarissait pas d'éloges chaque fois qu'elle nous rencontrait, nous qui avions bien sûr les enfants les plus beaux, les mieux éduqués, les plus charmants de toute la planète.
Elle a fait ses adieux à la scène de la vie d'un seul coup, baisser de rideau sans appel, sans rappel. Et tant mieux. Les lamentations n'étaient pas pour elle. On s'était embrassées deux jours avant. Elle m'avait demandé avec emphase: "Dansez-vous la valse ?" et comme je lui rétorquais qu'elle ne pensait pas si bien dire, elle m'a dit: "Cest bien. Continuez à danser, toujours".
Je suivrai vos recommandations, chère Mademoiselle Thilgès, je continuerai à vivre dans le "boum" et à valser, toujours.
Effectivement, elle avait l'air d'être "quelqu'un"! Et quelle classe. C'est une chance de croiser des gens comme elle.
Rédigé par : Lola | 10 février 2011 à 01:08
J'aimerais devenir une vieille dame gaie et élégante, comme elle...
Rédigé par : verveine | 10 février 2011 à 14:44
Une grande Mademoiselle !
Rédigé par : ms | 10 février 2011 à 16:00
Et donc tu danses la valse? Et un deux trois quatre, et un deux trois quatre... :-)
Thilgès ça me dit qqch, tu étais où à l'école? La même que la mienne?
Rédigé par : delphine | 10 février 2011 à 21:22
Très bel hommage rendu à ta voisine. On espère tous vieillir dans de telles conditions. Bon week-end Myo. Tu as déjà eu l'occasion de lire le livre que je t'ai envoyé à l'automne?
Rédigé par : Un petit Belge | 11 février 2011 à 19:32
Top cool, la dame. Chouette histoire, bien racontée. Et comme elle avait toujours envie, elle ne vieillissait pas.
Rédigé par : Damien | 11 février 2011 à 23:26
J'aime beaucoup cette expression: vivre dans le boum! Si j'écris mes mémoires, pourrai-je l'emprunter pour en faire le titre?
Delphine, cette jolie vieille dame a un air de ressemblance avec ta Bonne-Maman, tu ne trouves pas?
Rédigé par : celestine | 12 février 2011 à 01:09
Lola: Oui, elle fait partie des "inspiring ladies"...
Verveine: A qui le dis-tu !
Ms: Tout à fait ! Alles goed met je ?
Delphine: Tu ne penses pas si bien dire. J'ai été à la Ste Trinité mais la grande demoiselle a "sévi" dans plusieurs écoles de Bruxelles. Où étais-tu toi ?
Petit Belge: Pas encore, j'ai une pile de livres en attente que tu n'imagines pas. Le tien et un de ceux de Coum' sont dans la pile.
Damien: Dis-donc, tu me cherches là ? ;-)
Célestine: Nous aussi, cette expression nous a tout de suite séduits. Bien sûr, ce serait un joli hommage qu'on lui rendrait et je serais flattée, moi, de te l'avoir inspiré.
Rédigé par : Myosotis | 13 février 2011 à 17:40
Quel bel hommage !
Rédigé par : Angèle | 23 février 2011 à 09:42