Si d'aventure, les arômes chaudes d'un bon café filtre et le parfum croustillant du pain grillé viennent chatouiller mes narines, je suis instantanément transportée cinquante ans en arrière. Si par le plus grand des hasards, il est tout juste huit heures et une radio quelque part lance le jingle du journal parlé de RTL, il me suffit de fermer les yeux pour être sous les draps et les couvertures dans un grand lit chez ma grand-mère. J'entends confusément mon grand-père qui se prépare à partir travailler, ma grand-mère qui s'active dans la cuisine de leur petit appartement au quatrième étage sans ascenseur et je suis une petite fille heureuse.
L'odeur très particulière de la sciure de bois me ramène d'un coup dans l'atelier de mon grand-oncle menuisier et je vois très nettement, toujours les yeux fermés, les copeaux de bois qui ressemblaient à des boucles de cheveux blonds. Je perd à nouveau 50 ans et je reste sagement au bord de l'établi en évitant soigneusement de m'approcher du rabot, sur les instances insistantes de ma grand-tante.
Il est une autre fragrance que je ne retrouve que dans certains endroits bien précis que sont les ascenseurs des immeubles à appartements, loués pour un mois d'été à la côte belge. C'est un parfum totalement indescriptible, indéfinissable qui allie la mer, le sable, l'ambre solaire et.... la lessive ou le linge prêt à l'étendage. Et je suis téléportée sur le toit d'une pension de famille à la mer du Nord où l'on pouvait monter (en ascenseur) sécher son linge (ou était-ce le grenier, je ne sais plus, je n'étais pas plus haute que trois pommes).
Il y a l'odeur si unique du cuir de la voiture de mes parents, si masculine, si "rouge bordeaux" (la couleur du cuir), quelquefois imprégnée momentanément d'une odeur d'oignons ou d'échalotes, ramenés de la campagne et qui s'infiltrait du coffre vers l'habitacle. Je me retrouve avec mes soeurs sur la banquette arrière, tâchant de maîtriser deux chats qu'à l'époque on n'enfermait pas dans un panier et qui se promenaient dans la voiture, insensibles à toute discipline.
Il y a aussi le parfum plus jamais retrouvé des framboises du jardin de mon autre grand-père, ce fruit que je ne connaissais pas et que le locataire de cette maison m'avait offert comme une relique. Aujourd'hui, cette maison n'est plus louée, le plant est toujours là mais je ne retrouve pas ce parfum de diamant rouge.
Il y a l'odeur puissante du Vickx, en gouttes sur de vieux chiffons appliqués sous forme d'emplâtre sur la cage thoracique à hauteur des poumons qui me ramène immanquablement dans un lit d'enfant chez ma grand-tante et je revois la chambre aussi distinctement que si c'était hier.
Il y a les effluves du parfum enivrant et totalement étourdissant de cette dame à l'accent slave (était-elle Hongroise, maman ?), magnifiquement belle dans mon souvenir (ou était-elle simplement divinement parfumée ?). J'accompagnais ma maman, infirmière à domicile à ses heures, et j'étais sous le charme total de cette superbe dame habillée de parfum. Je n'ai jamais retrouvé ce parfum....
Les souvenirs olfactifs sont puissants, tenaces, et nous ramènent en enfance en une seule bouffée d'amour. Les parfums nous aspirent en un retour vertigineux dans le temps et l'espace. Ces fragrances, universelles et pourtant uniques pour chacun d'entre nous, ont un parfum d'éternité.
Quel joli billet ! moi je recherche toujours l'odeur du placard en bois de ma grand-mère, un mélange de 4 épices, de poivre, indéterminable, l'odeur de mon enfance sans doute
Rédigé par : pat | 08 octobre 2013 à 16:06
Merci pour ce voyage très émouvant au pays des senteurs...je crois que les odeurs et les goûts sont les souvenirs les plus prégnants...on a tous de ces bouffées, de ces remontées nostalgiques en se trouvant tout à coup pris dans les rets de la mémoire olfactive.
Parfois, cela fait monter les larmes. Notre petit côté proustien, l'apanage des grandes sensuelles que nous sommes toutes deux...
Rédigé par : Celestine | 09 octobre 2013 à 11:13
Pat: C'est vrai, chaque placard a une odeur indéfinissable, bien particulière et qui nous ramène la plupart du temps en enfance.
Cel: et suite à ce billet, plein d'autres réminiscences me sont revenues à l'esprit. Et tu as raison, ces souvenirs sont empreints d'une grande nostalgie....
Rédigé par : Myosotis | 09 octobre 2013 à 13:02
Très joli billet, qui m'a rendue un peu nostalgique il est vrai... comme l'odeur du café chez ma grand-mère, au réveil.
Rédigé par : isa | 10 octobre 2013 à 22:45
Oh comme je te suis dans ce memory lane trip... Merveilleux! Le Vicks, ouiiii! Et moi ce n'est pas la sciure mais les cuves à tanin, puisque nous avions une tannerie et je raffole de cette odeur. Et le parfum "cuir de Russie" dont un flacon orphelin de ma grand-mère paternelle était arrivé en possession de ma mère qui ne faisait rien d'autre que l'entrouvrir pour savoir ce que cette belle-mère jamais connue sentait...
Les odeurs... un vrai livre d'images. Saintes.
Rédigé par : Edmée De Xhavée | 15 octobre 2013 à 22:02
Edmée: j'avais aussi un flacon orphelin de ma grand-mère et sans en avoir jamais mis une goutte, le parfum s'est évaporé petit à petit, à mon grand regret.
Rédigé par : Myosotis | 17 octobre 2013 à 08:47
J'ai beaucoup aimé ce texte et ces souvenirs... Les parfums restent vivants, c'est ce qui les rend magiques.
Il m'est arrivé quelques fois de sentir un parfum autour de moi alors qu'il n'y avait personne, comme une présence invisible. Etrange sensation. Difficilement partageable, mais inoubliable...
Je reviendrai te lire.
Rédigé par : Line | 17 octobre 2013 à 17:14