Voilà, tu es partie. Je n'enverrai plus jamais de sms à personne en demandant: "Talkable ?". C'est un mot qui n'existe même pas, qu'on a inventé toutes les deux pour savoir si on pouvait se téléphoner, si on ne dérangeait pas, si c'était le bon moment. Bisoucini non plus d'ailleurs, ça n'existe pas; celui-là, c'est toi qui l'as inventé.
Je n'arrive même pas à imaginer comment on va faire maintenant que tu n'es plus "talkable". Je crois que je n'ai pas encore vraiment réalisé.
Ces deux dernières semaines ont été tellement bizarres. Nous sommes allées déjeuner ensemble puis tu as vu le médecin qui a décidé de tout arrêter. Puis je t'ai demandé ce que tu voulais faire de ces derniers mois à vivre et tu as rêvé le Mont St Michel. Claude a tout organisé le soir-même mais deux jours après, tu as vite compris que même ça, tu ne pourrais plus. On a rangé tes papiers, on a paré au plus pressé, le loyer, le gaz, l'électricité, tout ça, pour que tes proches n'aient pas à se casser la tête. Et puis, comme tu le voulais, pour éviter l'encombrement du cercueil dans ta cage d'escalier étroite - tu n'auras décidément pas arrêté de penser aux autres -, on t'a emmenée à l'hôpital quand la fin est devenue imminente. J'ai pu te dire au revoir et te transmettre les baisers des sorcières et tu as souri, pour la dernière fois.
Quand j'ai prévenu nos anciens collègues, j'ai reçu une avalanche de messages pour dire à quel point tu les avais marqués dans leur vie personnelle ou professionnelle, à quel point ta passion pour les autres les avait touchés chacun personnellement.
Et voilà, hier, la cérémonie d'adieu que tu nous as préparée de la première à la dernière ligne était à ton image. Grande, magnifique, généreuse et humaine. Tellement.
Tu me passes le flambeau d'aînée des sorcières. Et c'est un sacré poids sur mes épaules, ça. Mais je prends volontiers aussi le flambeau de la défense des autres que personne d'autre n'a jamais aussi bien porté que toi. Et j'essayerai d'en être digne. C'est ma façon à moi de t'aimer aujourd'hui.