C’est fini, je n’enverrai plus de CV. Alors, je vais en faire un petit dernier. Mais pas un CV Europass. Plutôt un CV « le temps passe ».
1 mars 1983 – 31 janvier 2023. A un mois près, 40 ans de carrière. Globalement la moitié d’une vie. C’est pas mal.
Si je jette un coup d’œil dans le rétroviseur, je suis assez contente du voyage.
A 17 ans, je ne savais pas trop quoi faire à part faire du théâtre. On m’a dit « Fais des études d’infirmière, tu ne seras jamais au chômage ». Ok, s’occuper des gens, ça me va assez bien, pourquoi pas. Mais comme 1) encore aujourd’hui, j’ai un peu de mal à différencier ma gauche de ma droite et 2) l’anatomie ou la biochimie et moi, ça n’a jamais été le grand amour, j’ai vite dit adieu à l’hôpital.
Ce que j’aimais moi, à part le théâtre, c’était les mots. Les mots et les langues. Alors j’ai appris quelques langues et j’ai passé quelques années le nez fourré dans un dictionnaire à traduire des articles…. médicaux, des modes d’emploi de machines dont je ne soupçonnais même pas l’existence et des posologies de cosmétiques. J’aimais ça mais je manquais d’interlocuteurs.
C’était la période « lost in translation »
Puis il y a eu la période « la couleur de l’argent » et même « l’ odeur de l’argent ». Six ans dans une banque à compter des pièces et des billets, ceux du boulanger, ceux des bistrots de la place du Luxembourg, ceux du client qui mangeait trois gousses d’ail chaque matin pcq c’est bon pour fluidifier le sang, contrairement à ce que dit le proverbe, je peux décemment affirmer que l’argent a une odeur. Mais je comptais aussi les billets de certains membres du staff du tout beau, tout jeune Bureau Erasmus et ceux-là avaient un parfum qui me faisaient rêver. Je rêvais surtout de les rejoindre. J’ai déployé tous mes sourires, j’ai postulé et de fil en aiguille, ce n’est pas pour Erasmus que j’ai été recrutée mais pour … Tempus.
C’était Tempus, le bon temps, le bon tempo, la plus belle période de ma vie professionnelle. Une centaine de personnes, tous ou presque, jeunes, dynamiques, pas de stress, la bonne humeur permanente, bref 4 ans de bonheur pur. Jusqu’au jour où la Commission européenne a décidé de confier la gestion du Programme Tempus à une agence de régulation, à créer de toutes pièces à Turin. Je n’avais jamais imaginé quitter Bruxelles et c’est contrainte et forcée par un mari visionnaire que j’ai postulé et que je me suis embarquée pour l’Italie.
Ce fut d’abord la période « Les bronzés font du ski » Club Med. Imaginez 60 jeunes et un rien moins jeunes qui débarquent juste avant Noël, tous logés dans un seul et même hôtel, adjacent au bureau. Petit déjeuner tous ensemble le matin, apéro le soir, la fête pendant un mois, deux mois, jusqu’à 6 mois avant de trouver un vrai logement. Et puis, la période « la dolce vita ». La famille enfin réunie, la découverte de l’Italie tout au long de la botte, la mer ou le ski le weekend, la cuisine italienne, la langue italienne, les mains italiennes, le café italien – plus jamais jamais un cappuccino après onze heures du matin - , la joie italienne, bref l’Italie pour toujours et à jamais dans le cœur.
Mais le dolce farniente et le congé sans solde du mari prennent fin et c’est le retour à Bruxelles. Neuf mois de consultance informatique où je n’ai rien fichu. C’est la période « l’Arnaque » mais où j’ai décroché ma plus belle carte de visite « Solution Specialist ». Même si on ne m’a jamais soumis le moindre problème à résoudre.
Puis une nouvelle agence en création me recrute et je retrouve le plaisir de tout mettre en place. Cette agence pour la sécurité alimentaire est censée s’installer à Helsinki et le recrutement n’est pas simple. Personne n’est trop tenté par les températures finlandaises. Et puis Berlusconi passe par là, convainc tout le monde d’installer cette agence à Parme et me revoilà partie pour …. l’Italie.
L’Agence s’installe en grande pompe à Parme, on est convoqué au Palazzo Chiggi, on circule escortés par la police (avec le gyrophare et tout), les autorités de Parme me prennent pour l’épouse du Directeur et m’organisent un programme de visite spécial épouse de Directeur. Côté privé, plus question d’expatrier de grands ados, je fais donc l’aller-retour hebdomadaire. Je loge pendant un an dans un palazzo magnifique, je dors dans une chambre de princesse qui donne sur le Duomo, je fais l’aller-retour entre Parme et l’aéroport de Bologne en limousine, Bref c’est la période Diva.
Mais les allers retours ne peuvent pas durer toujours et je reviens. On me propose un poste à l’agence Education Culture et Media, je le refuse une première fois, l’Italie va trop me manquer. On me relance, je finis par accepter. Jamais je n’aurai cru que l’Italie m’attendait là et qu’on finirait même par faire certaines réunions en italien. Et deux ans après mon arrivée, qui me rejoint à l’Agence ? Le programme Tempus. La boucle est bouclée.
Et voilà, j’ai vécu pendant 16 ans dans cette Agence des moments incroyablement chaleureux, des situations vraiment cocasses, des moments loufoques, et malheureusement, un épisode absolument tragique le 22 mars 2016 avec la perte inimaginable d’une amie de plus de vingt ans.
16 ans, c’est beaucoup, surtout pour moi qui changeait de boulot tous les 4-5 ans. Jamais je n’aurais cru rester si longtemps. Et ce mardi matin, 150 collègues étaient pour m’aider à sauter le pas autour d'un petit déjeuner.
Aujourd'hui, je rends mon tablier. J'ai travaillé pendant 40 ans. Une demi-vie. J'ai aimé tous mes boulots , je ne me suis jamais ennuyée et même si je suis fatiguée et contente de m'arrêter, j'appréhende un peu de fermer la porte.
Ce n'est pas tant ce qui est devant moi qui me fait peur mais je redoute le manque. Le manque de tous ceux-là. . Et plus particulièrement de mes collègues directs, ces collègues d'une longue partie de ma vie, que j'ai aussi aimés infiniment, chacun et chacune à leur manière.
J'ai réussi à ne pas pleurer jusqu'au soir, mais lorsque j'ai emballé mes dernières affaires et qu'ils m"ont tous accompagnée jusqu'à l'ascenseur en applaudissant, j'ai craqué et je ne me suis plus arrêtée jusque tard le soir.
Mais demain est un autre jour.
Tu m'as fait pleurer aussi.
Je me suis revue le jour de mon départ de l'école. Moi, c'est 40 ans que j'ai passé dans la "Grande Maison"...
Mais tu as raison, demain est un autre jour, et tu verras, c'est merveilleux d'avoir du temps, à l'âge où on a l'impression d'en avoir beaucoup moins d'un coup...
Rédigé par : Célestine | 03 février 2023 à 20:35
Bonn retraite à vous dans quelques temps ce sera mon tour et je comprends votre inquiétude, vous me raconterez je vous embrasse
Rédigé par : Pat | 04 février 2023 à 19:51
Félicitations pour ce parcours assez incroyable ! Je mesure à quel point tu as du être émue de quitter cet environnement familier.
Tu as réussi chaque fois à t'adapter et je suis certaine que tu t'adapteras à ce nouveau challenge ! Un petit conseil: prenez du temps pour vous ! Réservez-vous des moments rien que pour vous. Car, vous verrez, "être disponible, c'est un temps plein!" (surtout avec 6 petits enfants ! ;o).
Rédigé par : Nathalie | 09 février 2023 à 09:56
@Cel: Tu ne penses pas si bien dire, j'ai vraiment l'impression d'avoir encore moins de temps !
@Pat: Merci, merci. Oui aventures à suivre....
@Nathalie: Merci :-), j'ai eu beaucoup de chance. J'aime bien cette phrase "Etre disponible, c'est un temps plein", je m'en souviendrai ;-)
Rédigé par : Myo | 09 février 2023 à 21:02