Vieillir est un processus très lent et tant mieux. En général, on ne s'en rend pas vraiment compte. Bien sûr, il y a le premier cheveu gris, la première ride, la première tâche. Il y a les premières lunettes, l'abandon des escarpins, le cas échéant, les crises de sciatique, les premiers kilos indéboulonnables. Il y a mille et un détails mais auxquels on n'accorde pas vraiment d'importance. Malgré tous ces petits gâche-plaisirs, on continue à se sentir jeune dans sa tête. Et y croire contribue même à le rester.
Et puis arrive le moment où, sans que l'on s'en soit rendu compte, on est bien obligé de constater que les réflexes sont ralentis.
Hier, j'ai passé l'après-midi avec Sappho. Une fois n'est pas coutume, je l'ai emmenée faire du shopping de soldes. Et deux petits incidents m'ont fait prendre tout à coup la mesure de ce léger ralenti.
Nous avons pris le métro. Sans réfléchir, j'ai passé ma carte et suis passée devant elle sans la tenir par la main. Bien sûr, le portillon s'est refermé derrière moi - puisqu'ils sont calibrés pour ne pas permettre à deux personnes de passer en même temps -, la laissant de l'autre côté, la bouche ouverte de surprise. Interloquée moi-même, je lui ai passé ma carte mais elle ne savait pas où la positionner pour actionner le portique. Et mon bras était trop court pour le faire à sa place. Heureusement, une dame l'a tout de suite aidée mais j'ai bien senti son regard désapprobateur. C'est quoi cette nana - je n'ai même pas pensé grand-mère - qui ne réfléchit pas plus loin que le bout de son nez ? J'ai appris par la suite que jamais la maman de Sappho emprunte ce type de portillon, elle passe par le double sas qui permet aux poussettes et chaises roulantes de passer, ce qui permet bien évidemment de passer avec un enfant à son rythme. Je me suis sentie penaude et décontenancée. Où est la maman de 30 ans qui emmenait tambour battant trois enfants de 6 à 3 ans dans un bus bondé, perchée sur ses échasses de 6 cm, sans la moindre crainte de tomber et tenant trois menottes dans une main ? C'est là qu'on comprend qu'on n'a plus 30 ans.
Un épisode tout à fait similaire s'est répété une demi-heure plus tard. Dans un grand magasin, on prend quelques escaliers roulants et je constate avec plaisir qu'elle n'est plus la petite fille de 2 ans qui paniquait à l'idée de mettre le pied sur cet engin et qu'il fallait prendre dans les bras pour l'emprunter. Elle a grandi et elle adore ça. La sentant en confiance, lors d'une énième descente, je ne l'oblige plus à me donner la main et je la laisse descendre seule. Mais une fois encore, je passe devant. Et là, soudain, elle canne et reste figée devant la marche à franchir. Bien évidemment, moi je suis en descente et je n'ai pas le réflexe immédiat de remonter l'escalier quatre à quatre. Quand l'idée m'arrive enfin au cerveau, je suis déjà à mi-course et je n'ai d'autre idée immédiate que de lui dire de m'attendre là, que je reviens la chercher. Quelle idiote ! C'est clair que dès qu'elle ne me verra plus, elle va se mettre à pleurer. Elle n'en mène déjà pas large et ébauche une moue qui précède les larmes. Heureusement pour moi, une jeune fille charmante me demande si elle peut lui prendre la main et l'aider à me rejoindre. Je lui en ai été bien reconnaissante mais de nouveau, je me suis retrouvée penaude et décontenancée. Où est la maman de 30 ans qui a rattrapé son fils au vol alors qu'il trébuchait au bord d'une falaise vertigineuse en montagne ? C'est là qu'on comprend qu'on n'a plus 30 ans.
Et que par une curieuse loi mathématique qu'on n'apprend pas à l'école, 2 x 30 ans = réflexes/2.
CQFD.