Voilà, le cap est passé. Mais avant d'y arriver, que de larmes, que d'angoisses.
Je n'ai redouté aucune dizaine, j'ai vécu légère et rayonnante les 30, les 40, les 50. Mais cette dizaine-ci me reste en travers de la gorge.
Oh bien sûr, entre le soir de mes 59 ans et le matin de 60 ans, rien n'a changé. Mais le passage à la soixantaine revêt une symbolique bien plus profonde. Vieillir reste difficile, c'est accepter la perte de toute une palette de possibles et se confronter de manière de moins en moins floue à la finitude. La disparition ou la " pénible maladie" de proches mais surtout d'amis de notre génération nous injecte quelques piqûres de rappel au cas où nous n'aurions pas encore compris: tout a une fin....Nous y compris. Et quand on nage dans le bonheur jusqu'à pouvoir se noyer dedans, on en oublie la ligne d'horizon.
Vieillir est aussi physiquement douloureux. Je suis fatiguée de dire que je suis fatiguée, de ne plus avoir l'énergie du lapin Duracell, d'avoir une appréhension en descendant les escaliers, d'être sujette aux "urgences" (non pas celles de l'hôpital, celles des commodités les plus proches :-) ), je regrette de ne plus pouvoir mettre les chaussures qui me plaisent, de ne plus arriver à maîtriser les bouées qui ne me sont d'aucun secours, bien au contraire. Et tout cela sans être touchée par une maladie bien plus grave ou handicapante.
Vieillir c'est aussi renoncer à toute une série de projets qu'on sait maintenant qu'on ne fera plus. Même si certains restent encore techniquement possibles et s'inscrivent encore dans la catégorie des "yaka", on les considère malgré tout comme des illusions perdues: je ne ferai plus une carrière au théâtre, je n'ouvrirai pas un business de chambres d'hôte, je ne verrai pas tous les pays du monde (1. à supposer que je vive encore 20 ans en état de voyager, il y a peu de chances que je puisse m'offrir une petite dizaine de pays par an; 2. sans parler du "flightshame" ni de la campagne anti-"vieux" conducteurs), je ne jouerai pas de la guitare ou du piano et ainsi de suite à l'aune de mes désirs d'un temps, jamais mis en oeuvre. Bien sûr, y'a qu'à.... Mais ce n'est pas aussi simple..... Certaines choses sont définitivement perdues, d'autres n'adviendront jamais.
Enfin, et même si c'est bien plus futile, c'est fou ce que le visage change, je ne me reconnais pas, je me deviens en quelque sorte étrangère et l'air de rien, ne plus se reconnaître est une souffrance.
Toutes ces réflexions se bousculent dans ma tête depuis des semaines, descendent en boule dans ma gorge et remontent en larmes derrière mes paupières avant d'être refoulées sans ménagement dans l'arrière-boutique de mon cerveau bouillonnant.
J'ai pris le temps de formaliser ces pensées, de les écrire et faire le tri. J'ai relu le billet de Célestine à la veille de son passage dans la catégorie senior et j'y ai puisé l'énergie nécessaire pour sauter. Et j'ai sauté.... comme un bouchon de champagne !
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