Véritable jeu de piste, sur fond de baie des Anges, la salade niçoise n'en finit pas de faire la belle. Pourfendeurs de traditions, redresseurs de tort, défenseurs de la recette originelle, chacun sans exception s'anime pour la vraie, l'authentique, l'unique. En un mot: la sienne. Alors, même si je fréquente depuis que je suis née, j'ai commencé par goûter, puis goûter encore. En catimini, au restaurant, chez les Niçois de souche et rapportés..... et la première bonne nouvelle est que l'overdose ne guette jamais le mangeur de salade niçoise. La seconde est que j'ai fini par composer la mienne. A l'heure des régimes et des compléments alimentaires, elle agit comme un supplément de bonne humeur. Bio à tout prix, 100% bénéfique. Elle est là, toute simple, toujours joyeuse, infiniment généreuse. Une vraie bonne copine ! Essayons d'y voir clair. La patience des Niçois a tout de même des limites. A ceux qui pensent que la salade niçoise est un copieux embrouillamini, détrompez-vous ! Comme son nom l'indique, la salade niçoise est niçoise. Autant dire précise, bavarde, expressive et craquante. Pour les puristes, elle obéit à une règle d'or: hormis l'oeuf dur, rien, absolument rien ne doit être cuit. Exit haricots verts, pommes de terre bouillies et autres plaisanteries qui en leur temps avaient valu un grand Escoffier un zéro pointé. A la faveur d'un microtrottoir, retenons que la petite tomate est tout juste tolérée. On la juge "un peu fanfaronne". On lui préférera "la belle tomate charnue et coupée en quartiers". Les fèves sont indispensables et pas seulement recommandées. Elles sont arantes de la saisonnalité. Et comme le dit un enfant de Riquier: "Du pan bagnat à la niçoise, il n'y a qu'un pas. Mais mefi ! la févette elle est petite. Si tu enlèves sa deuxième peau, tu en perds la moitié !" Et les artichauts du pays ? "Oui bien sûr. Tu les épluches. Ils te noircissent les doigts. Pour tous les amis, c'est la preuve que c'est toi qui as fait la salade." Les cébettes, les petits poivrons verts, les olives noires, le céleri, les radis ? Ouf, pour tous ces ingrédients, c'est un oui voté à l'unanimité. Et le concombre ? Là, le ton monte. "C'est à part et dans un ravier. Sinon, il gâche tout, il rend l'eau." Prudente, j'ose: le thon ET les anchois ? "Ma sies fouale ! Tu choisis: c'est l'un ou l'autre. C'est si t'es pôvre ou pas pôvre !". Vaste débat. Et même en réfléchissant vite, je ne sais plus qui du thon ou de l'anchois est le plus coûteux. Sur le port, le ton monte. Tentons une dernière question. Et la salade verte ? Soupir. Yeux au ciel. C'est la question de trop. Celle qui fâche. "La salade verte ?" Que malur ! A Nice tu vois, sur la colline du Château, y'a PAS de château, et dans la salade niçoise, y'a PAS de salade." Point final. Sur ces paroles, faisons-nous toute petite. Un ange passe.... et il faudra bien un petit vin d'aqui pour se rabibocher. Mais par où commencer ? Pardi, par le marché ! Au premier coup d'oeil, tout est donné. Par un beau jour de mai, on plonge donc tête baissée dans La Bonne Cuisine du comté de Nice, La Cuisine niçoise d'Hélène Barale, A la table de Nicole... ce ne sont pas les recettes qui manquent ! Et, soit dit entre nous, maitenant je le sais, le véritable jeu, c'est goûter. Le choix du roi, ce sont les tables du Sud du Guide Gantié que Jacques commente savoureusement. La piste nisso-niçoise, ce sont les enseignes labellisées Cuisine nissarde. Pour les plus aventureux, tentez la Mangiada, le championnat de la salade niçoise qui se déroule chaque année en mai, avec ses personnalités, ses joutes festives et sa remise des prix. Et signe que la recette fluctue et subit des turbulences, reconnaissons une bonne fois pour toutes que si le terme voyage bien, ce n'est pas forcément le cas de la salade. Gardez l'esprit critique.
Au fond, après toutes ces émotions, inutile de se raconter trop de salades. Je dois reconnaître qu'à la maison, j'affiche des intentions pures et que j'aime servir la tradition, mais à l'extérieur, c'est le petit pas de côté qui m'interpelle. Je confesse un faible pour la salade niçoise de Sébastien au Bistrot d'Antoine. Je la guette chaque année. Avec ses anchois frais crus marinés et son thon mi-cuit, elle compose une gamme de couleurs et de saveurs inouïes. Et là, plus aucun souci, même si certains crient à l'hérésie. Baptisée Notre salade niçoise, celle-ci a tout compris. C'est juste la sienne, comme la mienne est la mienne. Et la tienne ?
Source: Côté Sud Hors série Cuisine n°16 Eté 2009