Quatre heures du matin. Je rêve qu'on joue aux ballons d'eau et que l'un d'entre eux vient de m'éclater sur les genoux. J'ouvre un oeil, j'ai tout d'un coup l'impression que je ne suis pas dans le bon rêve. J'ouvre le deuxième oeil et je réalise que je ne rêve pas, que je suis dans mon lit et que ça m'a bien tout l'air de la fameuse "perte des eaux".
Oh bien, si ce n'est que ça, la belle affaire, même pas mal ! C'est quoi ces mauviettes qui ont accouché avant moi et qui m'ont bien prévenue des affres qui m'attendent ? Je savais que moi, je serais bien plus vaillante, hé hé ! Je ne vais pas réveiller le futur papa pour si peu. Je prends le Laurence Pernoud pour vérifier la marche à suivre et j'attends patiemment le sourire aux lèvres. C'est ce que je fais depuis neuf mois, ceci dit.
L'homme ouvre un oeil et comprend vite. A l'exception de mon absence totale de stress. Il prend le relais d'ailleurs. Non pas qu'il stresse vraiment mais en homme prudent, il préfère me voir entre les mains de "ceux qui savent" plutôt que de rester là à attendre une accélération du processus en pleine heure de pointe. J'avoue que je n'ai pas envisagé les choses sous cet angle. Mais je ne me presse pas, je rassemble mes dernières petites affaires, j'embarque mon tricot, pensant terminer le dernier petit bout de manche qu'il me reste pendant les quelques heures d'inoccupation à attendre la princesse.
J'arrive à la maternité, encore tout sourire. Pas un instant je n'ai imaginé, même dans mes pires cauchemars, le tsunami qui m'attendait. La tempête n'est pas venue tout de suite évidemment. Ce ne fut d'abord qu'une légère brise, presque imperceptible, venant rider la surface de la mer(e). Puis de petites vaguelettes se sont formées, me soulevant des sourcils légèrement inquiets. Puis les vaguelettes se sont intensifiées, elles ont grossi lentement mais sûrement, se gonflant au rythme des marées et de la lune, prenant de la puissance à chaque mouvement et me collant au tapis à chaque ressac. Cent fois j'ai cru y laisser ma peau, cent fois j'ai demandé grâce, souhaité que tout s'arrête, convaincue que je n'y arriverais jamais. Seize heures dans l'oeil du cyclone.
Autant dire que le tricot est resté sagement dans la valise. Il faisait comme aujourd'hui, un soleil splendide, 22 degrés à l'extérieur. L'homme a regardé, un nombre indécent de fois, par la fenêtre en soupirant. Il avait organisé une journée dans les bois avec ses gamins et il ne se représenterait plus une aussi belle journée avant le printemps prochain.
Pas un instant je n'ai imaginé, même dans mes rêves les plus beaux, qu'après la tempête, je tiendrais dans mes bras la plus jolie des petites filles, si zen et si détendue qu'elle en a oublié de pousser le cri primal, tellement si belle que je suis restée éveillée toute la nuit pour la regarder dormir.
Ce matin, elle dormait encore quand nous lui avons souhaité bon anniversaire en partant. Dans un demi-sommeil, elle nous a répondu "Bon anniversaire" comme on répond "Bonne journée". Elle ne pense pas si bien dire: c'est aussi notre anniversaire à tous les deux, celui de la rencontre avec le plus merveilleux des premiers bébés.
Le pull au tricot est resté manchot et je n'ai plus jamais touché d'aiguilles de ma vie....